Nous l’avons vu récemment, le paysage industriel a subi quatre grandes mutations. Chacune de ces évolutions a apporté son lot d’innovations mais a également entraîné une complexification de l’environnement industriel, et par voie de conséquences des systèmes de gestion qui vont avec. La quatrième révolution industrielle, avec son besoin d’interconnexion entre les différents acteurs (production, marketing, consommateurs, commercial, etc…) n’a fait qu’accentuer ce phénomène. Comment, dès lors, gérer des systèmes de production complexes ?
La psychiatrie à la rescousse
Ok, je l’avoue, ce titre est un poil exagéré, et un tantinet racoleur, mais avouez que cela a éveillé votre curiosité !

Il n’en reste pas moins que la personne que je souhaitais vous présenter possède la particularité d’être à la fois psychiatre et ingénieur. Cet anglais du nom de William Ross Ashby, qui vécut au vingtième siècle, s’intéressa toute sa vie à la cybernétique. La cybernétique est, selon Wikipedia, « l’étude des mécanismes d’information des systèmes complexes« , et selon le Larousse, la « science de l’action orientée vers un but, fondée sur l’étude des processus de commande et de communication chez les êtres vivants, dans les machines et les systèmes sociologiques et économiques.«
Le Larousse nous apprend ainsi que Platon utilisait déjà ce terme dont il appliquait le concept tout autant au pilotage d’un navire qu’au gouvernement des hommes. Mais c’est Norbert Wiener qui, dans son ouvrage Cybernetics publié en 1948, « mit en évidence une unité de processus » dans des situations d’une très grande variété, et qui montra ainsi que la cybernétique se définissait non tant par le « transfert direct de connaissances d’une discipline à une autre » que par son apport méthodologique.
Or c’est cette notion d’apport méthodologique dont s’est saisi William Ross Ashby pour développer sa Loi de la Variété Requise.
Gérer des systèmes de production complexes grâce à la Loi de la Variété Requise
La Loi de la Variété Requise stipule un concept assez simple : « pour qu’un système A puisse contrôler un système B , il faut et il suffit que la variété de A soit supérieure ou au moins égale à celle de B. » Le terme de contrôle est, dans cette loi, entendu selon ses deux acceptions, à savoir l’acception française de surveillance, et l’acception anglo-saxonne de commande.

Et c’est justement dans la simplicité de ce postulat que réside sa force et sa capacité à être décliné dans des contextes extrêmement variés. Prenons des exemples très concrets. Pour contrôler un vélo, il faut un système de commande qui est composé d’un guidon (pour gérer l’orientation) et de freins (pour maîtriser la vitesse). Pour contrôler une voiture, il faut un moteur, un volant, des freins, un tableau de bord, etc… Pour contrôler un avion il faut un cockpit bardé de boutons et procédures que les pilotes doivent maîtriser sur le bout des doigts. Et pour contrôler une centrale nucléaire, il faut un centre de contrôle d’une complexité qui dépasse l’entendement, et qui requiert en permanence plusieurs personnes pour fonctionner.

De la même manière, pour contrôler une équipe sportive, il faut un entraîneur, et pour gérer un état, il faut un gouvernement et des administrations spécialisées. Plus le système étudié est complexe, plus son organe de contrôle doit l’être.

On voit bien, ainsi, que cette loi trouve des applications dans des domaines extrêmement variés (et encore, nous n’avons pas pris d’exemples qui relevaient du vivant ou de la philosophie) et qu’elle porte en plus en elle un caractère d’universalité. L’inversion de ce rapport de force, à savoir le fait que B possède une complexité supérieure à celle de A amène au développement de concepts tels que l’intelligence artificielle, concept sur lequel a également beaucoup travaillé Ross Ashby et qui connaît aujourd’hui ses heures de gloire du fait d’une accélération de la recherche en la matière, des premières applications concrètes, et de quelques avancées scientifiques ayant eu lieu dans les années 90 avec notamment la conceptualisation des réseaux neuronaux, même si le terme d’intelligence artificielle est également très galvaudé.
Quelle application de la Loi de la Variété Requise dans l’industrie
Si cette loi est capable de s’appliquer à des domaines aussi variés que l’informatique, la gestion des organisations, des structures sociales ou au fonctionnement du vivant, on peut sensément concevoir qu’elle s’applique également au fonctionnement des industries.
Nous l’avons vu, la complexité induite par une ultra-personnalisation des produits, caractéristique s’il en est de la 4ème révolution industrielle, également mentionnée sous le terme d’industrie 4.0, suppose des mécanismes de production et de gestion de la production toujours plus complexes.
On serait tenté de croire que l’ERP pourrait être la pierre angulaire du système de contrôle de ces nouveaux environnements de production. Ce serait, à notre avis une erreur, car l’ERP à lui tout seul ne pourra jamais atteindre le niveau de complexité requis pour tout gérer. N’oubliez pas la loi de la variété requise : « pour qu’un système A puisse contrôler un système B , il faut et il suffit que la variété de A soit supérieure ou au moins égale à celle de B. » Or, un ERP ne sera jamais à lui seul au moins aussi complexe que les systèmes de production actuels, et n’est pas fait pour prendre en charge l’ensemble des aspects de la production.
Nous pensons donc que la meilleure approche est de combiner différents systèmes de contrôle. La méthode Conwip apporte un premier élément de maîtrise de cette complexité par sa capacité à optimiser des flux de production complexes. L’ERP conserve son rôle de pont entre la fonction commerciale et la fonction productive. En fonction des besoins, il peut être intéressant d’introduire une démarche d’ordonnancement pour gérer les priorités de production, brique qui viendrait s’intercaler entre l’ERP et l’outil de production doté de sa méthodologie (comme le Conwip par exemple). Nous avons d’ailleurs déjà démontré qu’il était tout à fait possible de faire cohabiter un ordonnanceur et la méthode Conwip. Des jumeaux numériques, MES (Manufacturing Execution System), MOM (Manufacturing Operation Management), ou logiciels de pilotage de ligne peuvent également compléter le tableau, et je passe sur bien d’autres outils.
Pour faire face à un accroissement flagrant de la complexité des environnements de production, l’enjeu n’est donc pas de trouver l’outil qui puisse vous permettre de répondre à toutes vos problématiques et de tout maîtriser depuis un seul point de contrôle, mais bien d’identifier la bonne combinaison de leviers qui vous permettront d’avoir un contrôle fin sur votre activité. L’industrie n’est en rien différente des autres secteurs, on ne pilote pas un avion comme on conduit un vélo. L’usine du futur ne peut donc pas se gérer comme on organisait un petit atelier au milieu du vingtième siècle.
Là encore, il est intéressant de noter que l’humain joue un rôle absolument capital de chef d’orchestre de ces systèmes, tant dans leur conception que dans leur coordination au quotidien sur le terrain. Penser que l’on pourrait s’affranchir de responsables de production ou d’opérateurs parce que des moyens de contrôle ont été mis en place serait une erreur. Car les informations fournies, que ce soit par les méthodes ou par les logiciels, ont toutes besoin d’être interprétées, et rien ne remplacera jamais l’expérience de vos collaborateurs en la matière. Ces systèmes de contrôle doivent donc être envisagés comme des outils d’aide à la décision, et non comme des systèmes autonomes.